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Interview de Guillaume de Feydeau au site Gomet : "Guillaume de Feydeau, pilote du retournement des entreprise"

01 juin 2024 Membre
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Retrouvez ci-après l'interview de Guillaume de Feydeau, sur le site GOMET

 

Guillaume de Feydeau est dirigeant d’entreprise, spécialisé dans les situations de transformation et retournement, et à ce titre il a dirigé deux entreprises marseillaises emblématiques, la SNCM, à ce jour devenue Corsica Linea, et La Méridionale, avant qu’elle ne soit acquise par le groupe CMA CGM. Il nous parle de son parcours, du métier de dirigeant de crise, de ses missions à Marseille et de sa vision de l’économie locale.

 

Guillaume de Feydeau, quel est votre parcours ?


Guillaume de Feydeau : Après mes études à l’Essec, j’ai été marqué par mon service dans la Marine Nationale, où j’ai côtoyé des gens passionnés et engagés. Je suis toujours officier de réserve. Concernant mon parcours professionnel : je me suis tout d’abord orienté vers la finance, comme auditeur chez Arthur Andersen (aujourd’hui EY), l’école de la rigueur, avec des professionnels exigeants et passionnés. Cela m’a conduit à devenir directeur financier de la banque Cofinoga. Au cours de ces 15 années dans le groupe Galeries Lafayette, j’ai ensuite évolué vers le développement en pilotant les acquisitions en Europe puis l’activité de conseil pour de grandes enseignes sur l’impact du digital et du CRM, au sein du pôle européen de services financiers et de stratégie client, Lafayette Services joint-venture avec BNP Paribas. Depuis 2010, je me suis spécialisé dans les enjeux de transformation, restructuration, retournement, le plus souvent en tant que mandataire social.


Vous êtes dirigeant de transformation, de quoi s’agit-il ?


Guillaume de Feydeau : Pour des entreprises pré-identifiées comme sous performantes, aux plans économique, social, et même sociétal, j’ai été amené en tant que dirigeant à trouver un nouveau modèle, quitte à les transformer et les redimensionner. Citons les plus emblématiques : le fabricant de chaussures JB Martin situé à Fougères, le distributeur de matériels et fournitures de bureaux Office Depot, dont le siège était à Senlis et leader en France avec 400 M€ de chiffres d’affaires et 1 700 salariés et présent en Europe également. Enfin deux compagnies maritimes marseillaises emblématiques : la SNCM Société Nationale Corse Méditerranée, compagnie à son époque leader avec 1 600 salariés (et 4 000 emplois indirects localement) et opérant huit navires, puis dernièrement la Compagnie Méridionale, opérant quatre navires et employant 600 personnes. Sur ces expériences, je pense pourvoir dire qu’il est pertinent de restructurer une entreprise en cas de sous-performance absolue, lorsque l’entreprise est en perte, mais aussi en cas de sous-performance relative, lorsque la place de l’entreprise sur son marché
est en recul.

Comment faites-vous, au plan méthodologique, pour redresser des situations ?

Guillaume de Feydeau : Une entreprise qui se retrouve en situation de crise, pour l’appeler comme cela, présente le plus souvent des caractéristiques que l’on retrouve à des degrés divers de façon systématique :
▪ une activité en berne ou une absence de croissance,
▪ des résultats négatifs et un « cash burn » soit une consommation de cash qui n’est pas tenable,
▪ des équipes dirigeantes souvent en manque de savoir-faire pour piloter ce type de situation surtout quand elles sont là depuis longtemps,
▪ des salariés et des syndicats inquiets devant un modèle économique délité et une perte de sens quant à sa place dans l’écosystème,
▪ un bilan financier avec beaucoup de dette qui obère ses chances de se redresser seule,
▪ et un environnement (clients, fournisseurs, banquiers, Etat) préoccupés de ce qui va se passer.

Le pilotage d’un retournement peut se résumer en quatre phases méthodologiques :

1. Tout d’abord le diagnostic : il convient de porter un regard objectif sur la situation, aux plans stratégiques, financiers, humains, commerciaux …et séparant ce qui est du ressort du passé et ce qui appartient à l’avenir. Par exemple, la SNCM (ces informations sont publiques) était à l’époque en pertes, de l’ordre de 20 M€ par an,
et était menacée par Bruxelles d’un très lourd passif de 600 M€, pour avoir bénéficié de subventions étatiques contestées a posteriori, au titre de la réglementation concurrentielle européenne, et d’une délégation de service public pour la continuité territoriale entre Corse et Continent également contestée. En pareil contexte, on pouvait opter pour une solution « de faucon », conduisant à la disparition de la compagnie, ou une solution « de colombe », visant à lui donner une chance malgré l’adversité des pertes et du passif. Ce diagnostic posé doit amener une action managériale qui réponde aux souhaits de l’actionnaire.

2. Ensuite établir un plan d’avenir : il faut tracer une feuille de route qui consiste alors souvent à faire évoluer ou transformer son modèle économique, parfois en
« détourant » une activité parmi d’autres (« carve-out »). Cette phase stratégique précède la restructuration et le retournement. Par exemple, JB Martin, qui était déjà en procédure de redressement judiciaire à mon arrivée en 2017 : l’affaire a pu être sauvée en étant redimensionnée avec un plan capitalistique mené avec le tribunal de commerce et les salariés pour un plan de continuité.


3. Puis fédérer une équipe de management unie, complémentaire et motivée pour redresser l’activité. Ce point est essentiel, car les mêmes causes produisant les
mêmes effets, remotiver les équipes de management, parfois les faire évoluer en allant chercher de nouveaux talents, est primordial pour le succès de la suite. Par exemple pour Office Depot, j’ai fait évoluer l’équipe de management autour de la nouvelle organisation liée à notre nouveau plan, tout en m’appuyant sur certains
talents déjà présents en interne. Nous avons ainsi réussi à passer d’une entreprise fragmentée qui était significativement en pertes, à une entreprise unifiée à l’équilibre au plan financier avec un nouveau modèle omnicanal, pour que coexistent efficacement la livraison aux clients B2B, le web et les 60 magasins. Ce
changement a été complexe à organiser, informatiquement comme socialement, d’autant plus avec la période Covid. Puis l’actionnaire a mis en vente Office Depot
France qui a été repris par la coopérative Alkor.

4. Enfin, il convient de dérouler le plan et avoir des résultats tangibles, visibles et qui ramènent du sens au sein de l’entreprise, au service de son actionnaire.


Vous avez dirigé deux compagnies maritimes marseillaises, SNCM (en 2014-17) et La Méridionale (en 2022-23) : pouvez-vous partager avec nous votre expérience ?


Guillaume de Feydeau : Ces deux compagnies présentent des similitudes, notamment leur modèle économique : servir à la fois des clientèles de passagers et de fret est un modèle sensible, avec deux métiers différents, chacun très concurrentiel, et dont la saisonnalité et la gestion diffèrent. Sur un métier du transport, l’état d’esprit historique « une compagnie maritime qui navigue, qui opère ses navires » a dû s’élargir vers « une entreprise au service des clients », dont on satisfait les besoins avec des navires. Et les besoins évoluent vers plus de service à bord ou à terre, plus de personnalisation. De manière générale, indépendamment du secteur d’activité, quand on perd de l’argent, c’est souvent parce qu’on a perdu le fil de cet objectif du service rendu au client. Et retrouver un sens économique et commercial est un préalable pour retrouver l’équilibre financier.

Sur la SNCM, avec l’équipe de management, et du fait des contraintes juridiques et financières des amendes de Bruxelles empêchant la poursuite de l’activité à l’identique, nous avons imaginé un plan conduisant à recréer une compagnie plus petite : moins de lignes, moins de navires et donc moins de salariés (environ 850). Cela, ainsi que le redressement judiciaire, amenait une discontinuité juridique préservant le risque des amendes. De fait, notre bonne gestion a donné du temps pour rechercher un nouvel actionnaire en plan de cession. Parmi plusieurs candidats, ce sont finalement plusieurs entrepreneurs Corses qui ont repris cette nouvelle compagnie pour l’appeler Corsica Linea, devenu le succès reconnu aujourd’hui.

En ce qui concerne la Compagnie Méridionale, cette importante compagnie marseillaise était confrontée à un problème de modèle économique avec deux navires vers la Corse du Sud en délégation de service public et deux bateaux vers le Maroc, ligne déficitaire (information publique). Après avoir repositionné un bateau du Maroc pour se rapprocher de l’équilibre financier, mi-2023 un nouvel actionnaire provenant du même secteur a repris la compagnie et son avenir dans ce nouveau contexte est prometteur et sera intéressant à suivre. (Ndlr : CMA CGM a repris la Méridionale en 2023)

Quelle vision de notre territoire ces missions vous ont-elles donnée ?

Guillaume de Feydeau : Marseille par son site, sa géographie, son histoire, son port en eaux profondes, ses infrastructures, sa population, a tous les atouts. Mais sans doute a-t- elle besoin de nouveaux investissements. Quelques grands groupes existent mais en nombre insuffisant. A Marseille en particulier, et plus généralement en France, nous manquons d’entreprises de taille intermédiaire (d’ETI). En France nous en avons environ 5 500, à comparer au double en Italie et davantage encore en Allemagne (le fameux Mittelstand). Or une ETI a la taille critique sur les marchés, peut mieux passer les crises, investir en recherche et développement…

C’est un type d’entreprise que je connais bien : de 2019 à 2022, j’ai été membre du Club Proscenium au Medef, le club des dirigeants d’ETI de plus de 300 M€ de chiffre d’affaires (elles sont au nombre de 350). A Marseille, le Club Top 20 regroupant des sociétés de taille significative est à ce titre une très bonne initiative.
Les entreprises ont un impact économique mais aussi social, sociétal et territorial. A ce titre elles ont des responsabilités, et il existe à mon sens une responsabilité patronale et locale, qui dépasse l’entreprise et touche son écosystème. Ma mission en tant que dirigeant est d’être au service de l’entreprise, de ses salariés, et de son actionnaire, pour qu’une entreprise même fragile aille mieux, pour qu’elle continue, quitte à ce que son format diffère. Je pense que dans cet esprit aussi les pouvoirs publics cherchent à aider les ETI. Mes missions marseillaises m’ont conduit à avoir à la fois un pied dans le privé (l’entreprise, le monde concurrentiel, les clients), et un pied dans le public (le Port, la Préfecture, le ministère des Transports, les politiques). J’ai constaté une bonne écoute des pouvoirs
publics à propos de la vie économique marseillaise, un dialogue territorial de qualité, un soutien local et une forte complémentarité entre le monde politique et le monde économique.




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